C’était le 16 octobre 2016. Un dimanche pas comme les autres. Une journée entièrement consacrée aux personnes en deuil. Des conférences et des témoignages vrais où chacun pouvait se reconnaître car, même singulière, l’histoire de l’autre révèle un peu de la nôtre.
La perte d’un être cher réunit ceux qui restent. C’est le titre du plus récent livre de Marie Laberge. Elle y aborde la perte par suicide. Ses personnages incarnent la vie après le départ d’un proche brusquement emporté par son geste fatal, mort dans un état de détresse, perdu à l’intérieur de son désarroi. Il a rompu avec la vie qui lui était devenue trop lourde ou insupportable. Il est parti en laissant derrière lui une énigme impénétrable, un pourquoi auquel l’endeuillé se heurte : « Je ne sais pas, je cherche une réponse, mais elle ne suffit pas, dès que j’entrevois une explication, elle s’avère improbable, je cherche, mais je ne trouve pas, j’ai mal, mais je ne lui en veux pas. » Le deuil traumatique atteint des familles qui tentent de colmater la blessure du manque ; elles s’efforcent de vivre désormais sans l’autre en présence, en quelque sorte, de son éternelle absence.
Au cours de la journée-colloque destinée aux personnes en deuil, une mère et sa fille ont pris la parole pour témoigner du chagrin que soulève le suicide d’un fils âgé de 16 ans, d’un frère avec qui on a eu du plaisir, des partages emballants, et de qui on a reçu des conseils éclairants. Comment est-ce possible ? Comment intégrer la réalité du non-retour, la perte totale d’un jeune, talentueux, promis à un bel avenir, aimé de ses proches ? Deux femmes capables de nommer l’indicible, l’impensable, le mystère. Leurs larmes nous ont permis de verser les nôtres ; ce jour-là, toutes les larmes se sont confondues, nous avons pleuré avec elles, silencieusement, en guise de compassion et de solidarité. Mère et fille nous ont éveillés et sensibilisés à la valeur relationnelle, à l’humilité que nous impose l’impuissance devant la souffrance extrême d’un fils, d’un frère qui n’est plus. Leur générosité nous a profondément touchés. Maxime, désormais inaccessible, toujours aussi vivant dans leurs souvenirs, dans leurs représentations, dans un espoir fou pour demain. Maxime, l’inaccessible étoile.
Musique et poésie ont suivi cette présentation en filigrane comme une dentelle de fils d’or en guise de soutien, pour nous donner un second souffle. Claire Oppert, violoncelliste humaniste, et Hélène Dorion, poétesse québécoise, ont transformé le chagrin ambiant en des moments de répit et d’ouverture sur le monde. Le chant du violoncelle, jumelé à l’harmonie du verbe, nous a littéralement transportés dans un espace céleste, là où la douleur de la perte s’amenuise et se transmute en des éclats de sérénité. Hélène Dorion atteste, sur la poésie de l’être : « Aucun corps n’a marché en vain. Aucune histoire ne se referme sans que le cœur ait pu effleurer l’énigme de l’amour, en saisir la beauté puissante et s’émerveiller de la vie qui engendre la vie. La mort nous contraint à creuser loin en nous-mêmes, à dissiper les denses brouillards qui opacifient l’horizon, éteignent le pas suivant. Ce n’est qu’à la limite d’elle-même que la vie se renouvelle. » Je vous laisse imaginer un air de Bach ajoutant à la fois force et douceur à ces mots.
« Il n’y a pas de roses sans épines », nous a rappelé le sociologue français Tanguy Châtel. Cette image correspond au chemin ardu que représente la traversée du deuil. Le parcours s’annonce parsemé d’obstacles et d’ombre, mais aussi de percées de lumière pour une durée indéterminée. Le sociologue souligne un phénomène important : « Il existe peu d’endroits dans notre société où les endeuillés peuvent se réunir pour aborder ces sujets, pourtant au cœur de l’existence de chacun, que sont la mort et le deuil. » Inspiré de son action bénévole auprès des malades en fin de vie, il écrit : « Il me semble qu’on ne peut aimer que lorsqu’on a été touché, rendu sensible par des choses belles, joyeuses, exaltantes certes, mais peut-être plus encore par la misère, la souffrance, la peine ordinaire. J’aime la compagnie des gens fragilisés, car ils m’apprennent à aimer. Être un homme, c’est, je crois, accepter que la plaie soit notre condition première. »
Au cours du colloque, Richard Cummings nous a présenté son défunt fils Michaël par le truchement d’une vidéo exceptionnelle dans laquelle le jeune enfant avait pris le temps de partager les limites imposées par la maladie neuromusculaire dégénérative dont il était affligé. Un témoignage poignant par lequel un enfant livre aux adultes le sens d’une vie trop courte, mais hautement significative. La perte de Michaël a transformé la vie de son père et, par le fait même, une partie de la nôtre : « Ce qui entre dans le cœur y demeure toujours. »
Ceux et celles qui n’y sont plus ont le don de rassembler les personnes en deuil. Cette journée-colloque à la Maison d’Italie, à Montréal, nous a propulsés sur une voie d’apaisement et nous a permis d’échanger avec des êtres certes marqués par le deuil, mais transformés par l’épreuve. La direction du Repos Saint-François d’Assise a eu la générosité de parrainer cette journée mémorable, ouvrant des pistes de réconfort et témoignant de sa solidarité. Elle a volontiers accompli la plus belle des missions dévolues à un cimetière : prendre soin de ceux qui pleurent et rendre hommage aux disparus.
Quelques participants ont bien voulu livrer leurs réactions : « Personnellement, je suis rentrée chez-moi ce soir-là, l’âme et le corps repus d’une nourriture exquise, et le cœur rempli de joie et de gratitude. »
« Si souvent dans la vie, on se trouve face à une impuissance dure à supporter, cette fois, j’avais l’impression de pouvoir quelque chose, un geste, un mot, un regard, quelque chose qui fait du bien. »
« J’ai tout apprécié : les conférenciers, les textes, la musique, la formule. Je tiens à vous exprimer ma gratitude. »
Comme psychologue, j’aimerais ajouter : cette activité trop rare a mis un baume sur les sentiments de manque, d’ennui et de solitude que peut déclencher la perte d’un être cher. Fraternité et chaleur humaine ont apaisé les lourds chagrins. Merci à toutes les personnes qui ont fait de cette journée un voyage intérieur d’une grande beauté.
Johanne de Montigny
Psychologue
Références :
CHÂTEL, Tanguy. Vivants jusqu’à la mort – Accompagner la souffrance spirituelle en fin de vie, Paris, Albin Michel, 2013, 272 p.
CUMMINGS, Richard. Michaël, mon fils – Tout ce que j’ai appris avec toi me permet maintenant de vivre sans toi, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2009, 272 p.
DORION, Hélène. Le temps du paysage, Montréal, Druide, 2016, 128 p.
LABERGE, Marie. Ceux qui restent, Montréal, Québec Amérique, 2015, 504 p.