Chronophotographie non titrée ni attribuée. | Tirée de (2015), Arts thématiques, « Le mouvement dans l’art ».
Cohabiter 5
Le cas québécois de l’aide médicale à mourir dans les espaces institués et dédiés aux morts nous interroge. Ici, l’amalgame du temps du mourir et du temps de la mort, comme de son accueil, donne aussi à réfléchir sur la vraisemblance d’une ritualité.
La conjonction entre deux points donnés s’effectue à haut risque dans ce saut. La décomposition du mouvement laisse deviner l’impact de la vitesse. Pour gagner en efficacité, le cascadeur amateur défie la gravité. Et quoi d’autre ?
« (...) La dislocation de quelque chose d’essentiel : Léa Marie KAISER (20141)
« Quand le transcendant s’éclipse, Régis DEBRAY (20122) |
Ce texte s’inscrit dans la foulée du triptyque (Cohabiter 2-4) qui rappelle les significations des lieux dévolus aux morts à titre d’assises d’une ritualité féconde. S’il y est démontré que les espaces sont indissociables des rapports au temps qui y logent, cette dyade s’inverse ici : c’est le temps autour de la mort qui est à sonder. Mais le temps n’est pas abstrait, il est notamment le fil qui se dévide d’une bobine. C’est le temps qui contribue éminemment à ce qui s’y passe, pour qui passe par ce lieu. Et la ritualité dynamise ce mouvement parce qu’elle requiert elle-même du temps : pour se préparer, pour ouvrir ce même temps aux émotions et aux consciences et pour les laisser s’épanouir.
Cadre des « événements » ou
du bouleversement temps/espace
« Ce qui s’y passe » : à titre de rite de passage3, le rite de mort, depuis même ses balbutiements anthropologiques, se déploie une fois que le terme d’une existence est avéré ou que la part somatique des êtres, parvenue à sa limite, est indubitablement passée. Dès lors, même ardu, l’ordre des choses, en leur temps, assure et rassure. C’est dire d’emblée la rupture — pour beaucoup, le choc — que vient provoquer « l’administration » (c’est le terme utilisé) de l’aide médicale à mourir (AMM), telle que définie dans les législations québécoise et canadienne. Dans la réalité que nous examinons ici, le caractère à divers degrés déconcertant pour nos contemporains s’amplifierait du fait que l’AMM se tient à l’occasion dans les lieux usuels de la mort, et parmi ceux décrits précédemment, la maison funéraire.
Quels seraient les impacts de cette récente pratique sur les fonctions rituelles fondatrices ? Quelles interprétations du deuil y seraient-elles véhiculées? Dès lors, a priori, pressés et compressés que nous serions déjà dans la tête, qu’est-ce que nos contemporains ont justement en tête, en ne sachant forcément pas toujours pourquoi? Autrement dit, quels seraient les coûts psychiques de l’AMM en lieux funéraires? Coûts d’ailleurs autant civilisationnels qu’individuels : humains. Un petit rappel sur l’humanité et ses jeux avec le temps sera par conséquent bienvenu.
Être humain : sources
Humain, de fait, et puis… n’être qu’humain. À cet égard, il faut rappeler que l’humanisme consiste en la capacité d’empathie pour autrui, pour ce qui affecte ses liens, son environnement et ses créations, en y étant sensible et attentif, bien avant de faire entendre notre propre rapport à ce qui nous affecte ou que nous aurions vécu.
Cet humanisme ou « l’état d’humain » consiste tout autant à discerner les enjeux au long cours de l’humanité, sous ces critères : est-ce que nos « innovations » favoriseraient une représentation de la mort et du deuil qui nous ferait mieux en affronter et en franchir l’épreuve? Partant, cette pratique nous rendrait-elle meilleurs4? Je ne pose pas ces questions au vu de cas de figure précis, si bien que je n’évalue pas en termes moraux, pas plus que je ne pose un diagnostic sur les attitudes et conduites des individus qui recourent à l’AMM. Privilégions alors la rigueur intellectuelle élémentaire qui considère entre autres la présence de biais cognitifs dans nos choix, fussent-ils avancés comme rationnels, voire mus par la science.
En conséquence, l’argument courant de nos valeurs individuelles et des mouvements sociaux actuels, voire celui des tendances, est englobé sous la coupole anthropologique. Comment celle-ci agit-elle? Elle part des évidences puis allie ce qui s’y manifeste du psychisme dans son humus culturel avec la profondeur du temps des sociétés. Ainsi, la manière anthropologique nous relie avec ce qui nous fait habiter notre monde et le rend vivable5. Et la ritualité est une forme importante de ce vivable.
Il s’agit donc de décrypter ce qui, dans nos vécus contemporains éminemment individualisés, provient du fait que nul être humain n’est une île6. Que le vivable tient.
Être humain « de son temps » : innover et en prime, sans douleur.
Sans responsabilité ?
Nous sommes les enfants de notre époque. Pour divers motifs, nous sommes ainsi au quotidien intimés de changer ceci ou cela. Ce mot d’ordre du changement est d’ailleurs donné comme étant le propre de ladite époque (c’est déjà une demi-vérité, comme si elle en avait le monopole.) Alors, tout occupés que nous serions à nous mettre au niveau de compétitions plus ou moins subtiles, à trouver le truc qui nous démarque, nous ne serions pas d’emblée disponibles pour réfléchir au sens profond de « nouveauté ».
Car de fait, être de son époque n’équivaut pas à la suivre aveuglément, selon les impulsions et les modes. Le diktat du changement requiert plutôt d’en faire l’analyse critique, qui consiste d’abord à invoquer le doute. Par exemple, nous pouvons en référer aux rationalisations mécaniques et aux approximations qui s’emparent du discours comme une nouvelle fatalité, du type « c’est ainsi, il faut s’adapter ! », en y adjoignant toutefois des avis solidement documentés; de la même manière, nous pouvons nous instruire de ce qui émane des enquêtes d’opinion, pourtant sujets à caution puisque l’autoréférence et la réactivité y priment. En fait, il s’agit de se nourrir à des savoirs qui débordent notre expérience, si précieuse soit-elle. Y réfléchir de manière sensée exige de nous décentrer de la crispation sur le présent dans lequel nous enferme l’injonction à l’innovation.
Y réfléchir requiert ensuite de penser aux effets potentiels de nos décisions, ce qui est le propre du principe de responsabilité7. Mais pareille analyse suppose un espace-temps propice. Et c’est ce qui irrigue autant l’expérience unique de la fin de vie et du deuil que l’examen des problèmes en tous genres : temporiserce qui nous arrive. (J’y reviendrai).
Pour l’instant : lorsque nous temporisons, nous nous mettons en état mental de reconnaître l’éventail des sensations et des sentiments humains. À ce propos, nous serions pourtant des désappris. En effet, depuis le début du 20e siècle, la culture dans laquelle nous évoluons vient pressuriser l’usage du temps en vue d’un profit maximal. Et elle a donné naissance à ce qui nous apparaît être justement comme une autre évidence : une culture médicale et thérapeutique occidentale qui ressent progressivement le besoin de supprimer la douleur et la souffrance le plus rapidement et le plus élégamment possible8. (Dans le discours courant, la cause paraît entendue ou reléguée au rayons des anachronismes et déviations des religions. Mais cette problématique est bien plus riche.)
Ce faisant, il n’y a pas que la douleur et la souffrance qui seraient supprimées… du moins à court terme.
Le temps nouveau de l’espace
qui connote le mot «mort»
Sans être une tendance ni non plus une anecdote, dans quoi s’inscrit l’aide médicale à mourir dispensée dans les salons funéraires au Québec ? D’emblée, dans une logique du rapport à la mort propre à notre culture, ce statut emmaillé avec ce qui fonde subrepticement de loin en loin la demande sociale9 de devancer « l’heure de sa mort ». Demande elle-même nourrie des rapports au changement, à la souffrance, à la responsabilité évoqués à l’instant. Ces rapports sont dominants en Occident du nord, certes, mais il plane une hypothèse puisque l’initiative se base au Québec. Sans en explorer la spécificité, examinons dans l’histoire interculturelle et mondiale le rôle joué par les lieux statutairement dévolus aux êtres morts et bien reconnus tels dans les scansions du temps intrinsèques à la mort. Cette mort qui coiffe nos temps.
Nous approfondissons ainsi nos remarques antérieures : oui, le vecteur « temps » se tricote toujours avec le vecteur « espace ». Qu’est-ce qui les combine depuis peu dans la longue histoire civilisationnelle? La vitesse, si exaltante : à la base, on parcourt plus d’espace en moins de temps. Cette rapidité est courante, soumise aux règles d’une fonctionnalité opératoire, technocentrée et, à certains égards, fort bienvenue (ce sera une clé). L’efficience emprunte le même trajet : plus de résultats avec moins d’efforts.
Cependant, hors urgences, l’efficience devenue banalisée nous fait passer tout de go d’un problème à sa solution, sans trop explorer ce en quoi la situation fait justement problème et même souffrance. Or déjà, l’obligation au tout-rapide-efficient heurte les rythmes biologiques, inconscients (et fait les choux gras de l’industrie de la relaxation). Dans le sauve-qui-peut mutant en politique comportementale et étatique, il devient alors ardu d’envisager les dommages collatéraux. Au premier rang des impacts de l’accélération impensée se trouve la capacité symbolique pourtant vitale logée au cœur des vécus comme des pratiques tissant le lien social. Ce sens du lien à la fois affectif — entre les êtres — et intellectuel — entre les phénomènes—, se trouve entre autres spontanément dans ces micro-sensations de bien-être, ne serait-ce qu’en croisant un regard allumé sur le trottoir, familier ou pas. Cependant, nous happant à tout moment, l’efficience vient brouiller cette faculté de savoir savourer hors des codes de consommation.
Or, ce rythme rapide semble lui-même s’accélérer pour ce qui concerne nos rapports si complexes avec la mort, avec des conséquences majeures. La constriction ou le télescopage du temps relatif à la mort était déjà remarquable ces dernières décennies.
D’un côté, ce télescopage se lisait dans quelques pratiques ante mortem puisque ce qui demeure l’euthanasie « active » et « volontaire » dénommée « aide à mourir » (c’est aussi le cas en France) sous nos cieux médicalisée, joue d’évidence avec le vecteur temps : elle devance « l’heure » de la mort, laquelle, en toutes sociétés, ne se présente pas planifiée dans un agenda; cette mort-là, casée « ancienne », laide et pénible, trop « indigne » — de quoi, de qui? —, cette mort dérangeante advenant selon sa propre loi interne serait devenue contre-culturelle.
Du côté post mortem, on connaît le raccourcissement des séquences rituelles découpant le rite de mort dit traditionnel (exposition et condoléances, cortège funèbre, cérémonie religieuse, disposition des restes, partage de repas); à l’intérieur de ce qui reste d’une succession rituelle, on sait bien la réduction cérémonielle qui souligne ce « départ » et ses suites, le plus souvent désocialisées. Bref, pourtant essentiels au deuil (voir entre autres Cohabiter 1), ces temps et lieux privilégiés tendent à s’effilocher.
En somme, ce que traduit l’accélération, c’est bien cette compression entre les temps du mourir, celui de la mort et de son après. Mais ici, la pratique de l’aide médicale à mourir, lorsqu’elle se situe en lieu funéraire,réduit davantage et amalgame confusément le fait d’être gravement malade, de mourir, d’être « passé dans une autre dimension » et de prendre socialement acte de la mort. De la sorte, toutes les écluses du passage majeur et progressif entre l’existence et son terme semblent être traversées dans le même rapport espace/temps, quasi simultanément : temps du mourir, temps du passage de trépas à mort clinique, temps de prise en acte et… temps de « célébration10 ».
Pour des générations qui apprécient les expériences « intenses », nous serions servis.
L’immédiateté qui qualifie en dominante nos attentes essoufflées envers le temps, forcément alors toujours compté, intervient ici frontalement. Par conséquent, dérivant vers la banalisation puis l’insignifiance ou vers l’éclair pseudo-spectaculaire, les fins de vie se tassent sur elles-mêmes, voire se dissolvent à force de raccourcis.
Dans ces conditions, le rite est asphyxié, sans aveu de ce sur quoi l’être bute, sans questionnement, sans poésie des soupçons de réponse, sans partage. Sans l’aération rythmée des espaces et des temps. Et quid des meurtrissures et des logiques inaperçues?
Regardons-y de plus près en dépliant ces temps/espaces.
Temps/espace #1 :
Concernant l’avant-mort ou le mourir
Le savoir moderne sur l’avancée vers la mort — de la pharmacologie à la psychologie, en passant par les disciplines soignantes et le terme même « accompagnement » — s’est développé dès les années 1960 avec vigueur, sans que les conditions organisationnelles ne suivent toujours, du point de vue des ressources consenties à cette expérience unique. Ce savoir n’était pas que dispensé aux seuls soins palliatifs. Là, comme dans la philosophie du soin irriguant tous ces milieux cliniques et communautaires (ceux-ci, largement contributeurs à l’impulsion), il tentait de répondre à la médecine assujettie à la techno-industrialisation et à l’abandon moderne des exclus. Ce savoir incidemment surtout féminin se trouve maintenant court-circuité, voire inondé par une idéologie contemporaine prégnante, relayée médiatiquement : mourir est donné comme largement, quand ce n’est exclusivement pénible, voire intolérable. La pression sociale s’y exerce d’autant, tous azimuts, si bien que le donner à mourir, sous prétexte d’une bienveillante préoccupation médico-politico-gestionnaire, s’avère une construction sociale agissant au jour le jour. À rythme prononcé11.
Bien sûr, la réalité est plus diversifiée et plus discrète. Mais toutes les expériences ne sont pas forcément retenues comme valables, l’idéologie faisant son œuvre comme une nuée difficilement saisissable. Par exemple, la recherche psychosociale récente autour de la mort devancée fait état d’une trajectoire pre-mortem le plus souvent lisse, interrogeant peu les effets fins et affligeants de l’introduction d’un compte-à-rebours, dans notre fantaisie collective d’omnipotence. Alors que cette attente prédéterminée amplifierait la hâte, voire les compréhensibles sauts d’impatience, ce qui justifie d’autant d’abréger l’échéance et d’accélérer le pas sur l’ensemble du continuum.
Or, pour la vaste majorité des cultures, même indigentes, mourir requiert le plus souvent un lieu désigné, spécifique, même au sein du domicile, soigné aussi pour lui-même. Cet espace-temps où se réfugient les grands malades et les mourants consiste en un territoire protégé des bruits du monde, propice aux liens avec « les » mondes, parfois sacrés. Dans cet espace-temps, le soin y est conçu et pratiqué12 comme une exigence humanisante afin de répondre notamment à une tentation bien commune, celle de nous dérober à nos obligations de soutien les uns aux autres. Tant et si bien que le soin est un donné, certes, de dépendance, mais qui se conjugue avec l’interdépendance — plus souvent qu’on ne l’estime — gratifiante et dans la découverte de parcours parfois étonnants.
Or, cette conception du soin se rétrécit depuis peu, à la faveur d’une redéfinition inusitée. En effet, à l’origine, partout, l’euthanasie volontaire et le suicide assisté étaient une voie de dernier recours, et ce, quels qu’en soient les néo-mythes rétrospectifs sur telle et telle ethnie. Pourtant, cette voie pourrait-on dire « réservée » dans l’éthique de base des cultures s’est déplacée à titre de soin précis de décision de clôture de vie offert aux particuliers. Mine de rien, sous l’égide de l’AMM, la mort devancée est sociologiquement devenue une réponse convenue et implicite à un imbroglio de facteurs. Et ladite réponse emprunte (voire laisse confondu) le modèle soignant multimillénaire de soutien au vivant fragilisé pour traiter notamment un problème de ressources actuelles en santé. Et ce, nonobstant les motifs du mal-de-vivre, certains connus, d’autres, secrets, qui ouvrent aussi le chemin aux demandes individuelles.
Ce qui s’avère nouveau dans l’histoire de l’humanité? Cette information précise concernant l’heure fatidique porte aussi sa charge d’impondérables, tout à l’excitation que nous serions à la nouveauté et à ce que l’on croit être le summum de l’autodétermination. Point majeur sur ce registre, cette propension réputée douce à en finir avec notre destin13 tendrait à abolir un mouvement profond, la tension intrinsèque entre la vie et la mort : chacun est dépositaire de cette dialectique entre le vivant physique, qui suit son inexorable loi, et le psychisme fondamental, qui ignore la mort et veut tout bonnement persister (exceptions ici non discutées.)
Outre la tendance connue à asséner erronément le terme « déni » dès lors que se manifeste la moindre résistance à cet inéluctable, dans les faits, cette tension est aplatie par notre souci, parfois obsessionnel, de l’objectif, justement, efficient : de la finalité, d’ailleurs confondue avec la finitude. Cette tension entre d’un côté la vie psychique qui se débat par-delà nos volontés et de l’autre, la courbe du temps inscrite dans les corps, passe la plupart du temps inaperçue dans nos conversations avec nos proches en fin de vie ou à propos d’elle. C’est que, en étant forcément rivés sur le moment planifié, s’impose mine de rien la lourdeur d’une impasse qui piège, si bien que l’énergie s’y consacre au détriment d’une impulsion de la découverte existentielle. De la sorte, la première personne concernée, bien sûr adéquatement soulagée de ses douleurs, se trouve privée de cette sensation d’être habitée par de l’inusité, voire de l’étrange, qui émanent du silence des jours et des nuits qui veillent. Oui, le silence nous veille... Mais veiller nous impatiente désormais, semble-t-il, au sein d’une mentalité qui fait de l’attente si singulière de ce processus universel une forme de tare, une offense à de nouvelles politesses de l’emploi du temps.
Car cet arrêt terminal décidé en bas bruit en société et en haut bruit par notre « autonomie » fixe une limite fonctionnelle sur ce qui est de tout temps une limite existentielle, gommant peut-être quelques significations de cette dernière. Sur ce plan, la question de la limite se trouve donc d’abord éminemment sollicitée. On en trouve d’autres aspects éclairants.
Intercalaire entre le temps du mourir et celui de la mort :
la limite, cet incontournable de l’apprentissage à penser,
à deuiller et à veiller au deuil
Lorsque ce mouvement interne de jeu entre la vie et la mort est reconnu et accompagné dans son évolution autonome, il peut ouvrir à un sentiment d’incomplétude de soi et d’infini hors de soi qui traduit entre autres l’acquiescement à la limite de notre moi.
Plus précisément, le tempo de l’advenue de la mort incontournable ouvre à autre chose que la souveraineté de la volonté individuelle, cette réponse devenue automatisée à l’angoisse de base, si souvent ignorée. Ses effets reconnus, acceptés, allégés, ce tempo nous ouvre ne serait-ce qu’au caractère infraconscient et inconscient présent dans la vie du corps, dans les grandes fonctions du vivant qui agissent hors de notre volonté : respirer, digérer… Sur cette base infime, corporo-matérielle, nous prenons conscience de ceci : notre échelle temporelle courte, lorsqu’elle est prise à bras-le-corps dans plus vaste qu’elle-même, ouvre à la présence d’échelles temporelles longues qui suivent leur propres logiques. Et c’est précisément de ces mondes que nous tirons un quelconque sens.
Cette amplitude des références vaut aussi pour le deuil. En effet, le deuil n’est pas seulement déterminé par des facteurs relationnels d’attachement et une biographie des pertes. Il n’est pas non plus que tributaire des circonstances et des dynamiques de la maladie grave et de l’approche de la mort, cette dernière fût-elle planifiée. Le deuil n’est pas non pas non plus que fonction d’une cérémonie de « célébration », même si l’effet salutaire de la ritualité est attesté, et du même coup, une large part de la santé mentale (et publique, en effets de cascade). Le deuil est aussi travaillé par les silences délétères de notre société, notamment sur la confusion qui fait équivaloir limite à répression.
Pourtant! Autant pour l’éducation au « vivre-ensemble » qu’à une autre échelle, l’éducation à la politique, la limite s’avère aussi fondatrice. En quoi? C’est que limiter avec pertinence ET vivre, penser, être en deuil sont emmaillés.
Au plan microscopique, à travers la confrontation à la limite, il se trouve qu’apprendre ce qu’est le deuil correspond à l’aptitude à penser. (Le lecteur assidu y verra un leitmotiv.) D’abord penser, dans le développement de l’enfant, se génère dans l’obstacle ou la limitation à sa fantaisie bien légitime de toute-puissance ou du « cela se fera comme je veux, quand je le veux ». Dans la différenciation de base des générations, chacun apprend à imaginer à partir d’un manque ponctuel et nommé de la présence de l’adulte aimant. On se représente avec tristesse ce qui manque et puis, reconnue, cette énergie donne un élan à la créativité. La pensée s’élabore de là.
Tout de même, permettre l’expression de nos fantaisies n’implique pas d’en autoriser l’agir, mais plutôt de cadrer une omnipotence primaire. Comment? En dosant entre limiter cette motion d’omnipotence ET laisser se déplier quelques pans de cet élan. Le principe de deuil s’apprend ainsi à l’origine dans cette aptitude primaire à renoncer quelque peu à ce que les choses soient telles que je les fantasme. À composer avec le cadre limitatif qui est davantage constructif que contrariant, sur lequel on s’adosse pour ensuite se libérer, mais jamais seul et toujours avec une parole interlocutoire. Être avec, symboliquement et concrètement, c’est justement ce qui peut nous manquer, à nous qui claironnons notre détermination prétendument autonome et sans contrainte, détermination qui ne peut traduire la richesse de nos désirs et aspirations profondes, puisqu’elle se base sur ce que nous connaissons.
Au plan macroscopique, un simple mot : il se trouve qu’émettre des politiques, c’est aussi fixer des limites. Depuis un siècle, l’histoire juridique indique que ce n’est pas toujours le cas, loin de là, sous la pression des intérêts divers14. Vaste thème.
Mais revenons aux liens plus directs entre le temps et l’espace.
Temps/espace #2 :
concernant la mort comme telle
Le moment ou plutôt les moments à la fois prévisibles et surprenants de la mort viennent condenser une ambivalence aussi pour qui y assiste : du fait de son mystère, qui ne concerne pas tant le somatique que le devenir de ce qui consistait un tout dans un être. (C’est que la mort vient séparer les éléments d’une personne unifiée, c’est un vécu et une représentation universels.) D’un côté, ce mystère est source de fascination, d’attrait pour l’ultime énigme; de l’autre, la peur monte devant le corps qui s’abîme en composantes indifférenciées et devant l’inconnu et l’insondable. Peut-être aussi devant la fin plus ou moins bancale d’une existence humaine qui avait le potentiel de se déployer, potentiel bien inégalement nourri et validé entre les groupes humains et c’est selon, pour chacun.
Dès lors, tout en donnant son impulsion au rituel, du fait que ces moments relèvent en bonne part d’une énigme, ils ont de tout temps nourri un champ de rapports de pouvoir : pouvoirs entrecroisés parce que la place des uns et des autres bouge à partir du décès, même dans les familles les plus unies. Mais aussi parce que l’ordre social préétabli cherche à se consolider ou à se pérenniser. La menace que fait planer la mort lui en donne l’occasion clé. C’est de sain augure pour que le groupe ne se disloque pas. C’est tout autant source d’abus. De la sorte, hormis les proches et leurs propres configurations relationnelles, les acteurs sociaux autour du trépas ont négocié leurs rôles, leurs influences et leurs prérogatives : entre sorciers, notables, notaires, ministres du culte et médecins, et certes, divers professionnels, tous représentent une logique institutionnelle et sont porteurs plus ou moins conscients d’enjeux de propagande auto-justificatrice.
Ce tableau sommaire explique entre autres les diverses mises en scène de la mort, oscillant entre une survenue violente et une advenue douce, si ce n’est magnifiée. Fantasmes toujours, si bien décodés dans le sens du pouvoir. Où se situe la réalité ? Quelque part entre ces « modèles ».
Or, encore une fois, l’idée même de la mort fait génériquement violence au psychisme, si bien que la culture s’emploie pour sa vitalité à aménager des modes de résistance à l’anéantissement que représente au fond toute mort : elle maîtrise symboliquement ces effets en inventant mille merveilles et en régulant les émotions et agissements des êtres. Comment? Par la procréation et toutes les formes de langage et de création (artistiques, technoscientifiques, de modes de vie, d’organisation, etc.), par les philosophies et les croyances : magiques, idéologiques, religieuses. Pour reprendre les mots de Louis-Vincent Thomas, « selon les sociétés, les réponses sont plus ou moins heureuses15. » Évidemment, ces réponses ne se révèlent pas qu’au moment de la mort, singulièrement par sa ritualité, mais à nos façons d’être et d’échanger au cours de l’existence.
Sauf exception et sans développer sur l’industrie de la provocation humaine de la mort — fictive au cinéma, bien trop réelle dans les tragédies meurtrières —, ces réponses traduisent essentiellement la manière dont les humains ont composé à ce jour avec la mort. Or, ce n’est pas tant en agissant sur le moment « T » par exemple en le devançant, qu’en composant symboliquementou en liant les êtres et les choses. (Par exemple, les dispositions symboliques protègent collectivement les endeuillés par une série de précautions.) Maîtriser au plan symbolique, c’est ainsi admettre que, à moins d’affronter la violence à notre individualité que nous fait ressentir la mort (quelle qu’en soit l’occurrence), on ne peut franchir le désarroi, le chagrin à vif, voire le sentiment de vide qui s’ensuit. En clair, on ne peut prétendre « passer à autre chose » dans les jours, voire les semaines qui succèdent à une mort, même prévisible.
On y revient : affronter la violence intrinsèque et angoissante de la mort signifie d’abord universellement temporiser. Se permettre un grand respir, une suspension du temps pour un petit moment : en somme, instaurer un écart avec ce qui nous frappe au plexus.
C’est que le mouvement, justement parce qu’il se déploie dans le temps, permet au vécu de se métaboliser. Prenons l’exemple de la marche : au plan sensori-moteur, bouger tranquillement dans l’espace engendre un ressenti physique, lequel induit le ressenti émotif de ce qui afflige. Et ce, sans éviter celui-ci ou le travestir en usant des recettes rapides et incantatoires du marketing à propos de notre bien, de notre qualité de vie et de sa dignité.
À cet égard, une zone inconnue se révèle lorsque la mort est choisie et inscrite au calendrier.
Cette zone concerne justement le vertige qui s’empare souvent des témoins de l’aide médicale à mourir. C’est moins le déroulement potentiellement harmonieux de la procédure, normée et en souci de pacification, qui serait mis en cause que la portée du geste, comme en témoigne une veuve : « Oh, c’était bien beau, tout doux. Mais je m’étais pas rendu compte de comment c’est grave. Je veux pas dire qu’on sauterait par-dessus un interdit, là, c’est [ça n’est] plus défendu. Je sens ça grave parce qu’on décide de la vie et de la mort. C’est géant. Peut-être que c’est surhumain. En tous les cas, moi, c’est au-dessus de mes forces (…) Bon, c’est lui qui le voulait et j’étais d’accord… Que voulez-vous? »
Pauline, c’est son pseudonyme, ouvre à une réflexion hors de l’ordre techno-gestionnaire introjecté, concernant cette fois la symbolique de ce geste. Son doute traduit aussi en bonne part ce qu’il advient de nos rapports symboliques actuels à la mort. Et, incidemment, son propos nous invite à transposer ce que serait son malaise advenant les gestes létaux et leur mise en scène en lieu funéraire. Malaise le plus souvent muselé par les convenances de la sacro-sainte efficacité et la célébration de l’opératoire qui vise aussi à valider la place sociale de tout un chacun et à esquiver ce qui nous trouble, bien au fond.
Temps/espace #3 :
concernant la mort et son après dans un temps rapproché
Répétons ce constat : depuis le milieu du dernier siècle, le temps de l’après-mort s’est rétréci et, à l’avenant, les espaces, puis la socialisation qui en est largement tributaire.
Ce rétrécissement global de l’espace s’était amorcé avec l’urbanisation en densifiant la circulation et les espaces de mouvement quotidien. En parallèle, se sont bouleversés les rapports au corps, notre précieux premier espace : devenu instrument de travail, il s’est depuis l’après-guerre de plus en plus affiché comme étendard des identités en correspondant aux règles du rendement, de la performance et de l’esthétique du moment, règles données comme individuelles. Ainsi clamées, nos identités deviennent forcément réfractaires au déclin, si bien que le corps en dysfonction — au surcroit éventuellement douloureuse — réclame un répit, mais définitif. Je résume à gros traits.
Il demeure que l’espace et le temps se combinent dans le corps. Et depuis quatre décennies, on aura aussi noté que le corps a peu à peu disparu des circuits funéraires.
Sous le choc de la présence de ce corps qui symbolisait trop crûment l’absence infligée par la mort, nous avons préféré les euphémismes sous forme de cendres, puis les multiples fantaisies de disposition des restes, insistant sur le « toujours vivant ». L’on s’étonne par ailleurs du deuil que l’on cantonnerait aux officines psychologiques ou aux réseaux sociaux, alors que n’est plus assuré l’élémentaire de la limite, ici, à travers la place symbolique des restes des morts. Normal alors, que, en déplorant paradoxalement le manque de repères (un repère ne se trouve pas, par définition, « au fond de soi »), l’on veuille d’autant rassurer et pacifier au cas par cas. À ce chapitre, nous sommes servis.
Ce faisant, nous manquons de nous relier physiquement dans un espace-temps, à l’occasion de la mort. Cette évaporation des corps concerne jusqu’au sort des cimetières et autres lieux de déposition, publics, collectifs. Aussi, le texte précédent que j’ai consacré aux non-lieux insistait-il sur ce trait universel : en plus de signaler les restes des morts, ces lieux confirment symboliquement l’existence de générations qui nous ont précédés et la vitalité de la transmission. Et cette symbolisation est éminemment apaisante.
Dans cette mouvance, pour ce qui est de loger le passage de vie à mort en lieu funéraire, je me permets de paraphraser Philippe Ariès16 : « Mettez la mort à la porte, elle reviendra par la fenêtre » en ceci : mettez un corps à la porte, il trouvera bien quelques fenêtres. En cela, basculer dans la mort en lieux usuels du funéraire serait-il aussi une compensation du manque de corporéité de la mort, que la pandémie récente a aussi mis en exergue? Ou encore, une sorte de revanche en regard du caractère déjà quelque peu irréel, voire virtuel de la prise en acte de la mort des dernières années?
Par contre, plusieurs suggèrent aux spécialistes soignants de la mort avérée, les agents du funéraire, les thanatopracteurs versés en thanatologie, qu’à ce titre, ils peuvent accueillir sur place l’entièreté du passage de vie à trépas et de trépas à mort médicalement validée in situ. Dans le droit fil de l’extension illimitée du terme « soin », on entend : « Il suffit juste de vous décaler vers l’avant… » C’est pour le moins oublier ou négliger (aussi une manière de dénier) que depuis plus de 150 ans, le soin techno-esthétique aux défunts comme tels fait partie d’un ensemble de compétences professionnelles et que, depuis plus de 45000 ans, le soin aux morts est un geste pieux au sens le plus large; il s’effectue lorsque l’être attesté ad patres devient cadavre, mot aujourd’hui banni. Ainsi, à la fois humanisé et rendu dans la tragédie humaine si simple, c’est autour du corps inerte et des corps vivants, entre arrêt et gestualité symboliques, que le rite pivote et peut s’élever17.
Ces cultures nous renseignent sur la sagesse de la temporisation, encore une fois, ce battement temporel essentiel au consentement à l’épreuve de la réalité, condition préalable à la sauvegarde psychique.
Or, sous nos cieux, une néo-mythologie s’installe, celle de la simplification pragmatique et même de l’arraisonnement à la rationalité opératoire devenue totalitaire. Comment? Après le tout-sous-le-même-toit, on réclamerait le tout-en-un. Cette mentalité de la procédure commode, pour certains un peu magique, tient souvent à ce petit mot d’ordre logé dans nos cerveaux : le « tant qu’à ». « Tant qu’à être malade, une charge, qu’à vivre comme ça », etc. Certes, on ne peut éluder le sentiment d’inhumanité, souvent justifié, néanmoins peut-être trop rapidement convenu. Encore, ici au plan des mentalités, ce tout-en-un, ce tout-inclus fait partie d’une habituation, mine de rien installée dans la demande à accélérer la mort. Qui habitue à quoi? À nous contraindre à participer à une entreprise dite rituelle, si émouvante. Et surtout, qui enjoint à adopter une démarche techno-procédurière, même sous garantie martelée d’être clarifiée et soigneuse.
Alors? Au nom de la logique de l’efficience à court terme, au motif réel de manque de ressources, de temps, etc., nous accréditons malgré nous une normalisation des conduites; donné comme un nouveau modèle, normaliser peut stériliser les pratiques, justement en les évidant des symboliques du vivant lié. Et concrètement, nous pouvons un de ces jours nous trouver non pas dans le deux pour un, mais dans le trois en un.
En effet, ce que l’on préserve pour le pré-funéraire ou l’administration comme telle de la médication définitive risque bien de faire encore s’estomper davantage le funéraire. Ce qui tient lieu de rassemblement en lieux dédiés aux morts remplirait éventuellement toutes ces fonctions simultanément, les réduisant à des tâches : 1. l’adieu au vivant, cette fois souvent mis en scène groupalement, plutôt que dans l’intimité des visites au chevet alors toujours source de luminosités affectives, même ténues ; 2. la prise en acte de sa mort, ici aussi semi-publique et dès lors esthétisée, avec l’effet diffus d’un sentiment d’irréel et qui, de fait, découle du processus sociétal de déréalisation de la mort.
Enfin, 3. Advenant que nous en restions au constat empirique du décès en direct, sans funérailles comme telles : la mort avérée et ses codes signalétiques disparaitraient, comme par magie. Plus précisément, le caractère éducatif des funérailles écoperait encore davantage, de même que la vertu consolatrice et tonique du rituel : quid alors de la pédagogie du destin, des quêtes de sens concertées dans un quelconque au-delà des expériences empiriques de nos existences, croyances en des cosmogonies diverses? Notre en deçà de « vivants » phagocyterait alors toute forme d’au-delà qui se définirait à l’extérieur de nos subjectivités devenues si individualistes, comme le faisait remarquer la citation en exergue (R. DEBRAY). Et quid de la solidarité qui se refouette et se vitalise toujours dans ce temps et cet espace bien délimité ?
Bilan, et ce, en admettant que l’on institue la pratique de mourir (temps #1) en lieux funéraires (temps #2) tout en la faisant suivre de funérailles à un autre moment (temps #3) : l’on risque de rogner le caractère prismatique de l’humain qui fait justement sa richesse. De même pour le deuil, car concrètement, entrer dans le deuil n’implique pas de liquider provisoirement nos affects ambivalents dans une mise en scène touchante. Entrer dans le deuil, même prévisible, implique encore une fois de temporiser un état émotif par définition vécu au présent, d’effectuer un pas de côté pour laisser place aux effets de la perte, de marquer un écart non violent entre l’événement et son accueil que permettent bien simplement quelques jours et quelques nuits.
Ce délai temporel qui aide toujours à mieux comprendre nos affects complexes dans un monde humain, relié aux autres et aux temps, convoque des espaces différenciés.
Délai ou scansion dans les temps de la mort et les lieux dédiés sont des facteurs de protection, ne serait-ce que pour qu’on ne soit pas tenaillé pendant des mois, voire des années, par l’incrédulité, le regret ou la culpabilité souterraine. En gardant à l’esprit que, par violence impensée et subtile, ce trouble se distille ensuite en conduites consommatoires à risque et en pathologies physiques et mentales. Et enfin, ce qui n’est pas rien, ce délai implique qu’on prenne le temps de préparer et d’effectuer intimement et collectivement ce qui est estimé juste, envers le mort, envers les morts, envers le fait que nous sommes les maillons de la grande chaîne humaine. Et ce sentiment du devoir accompli demeure fondamental dans la traversée du deuil. C’est précisément un des aspects du rite de mort socialisé qui prévient éminemment les troubles du deuil.
Cela étant : ici comme ailleurs, on peut consentir à l’euthanasie volontaire assistée sous conditions sécuritaires tout en apposant les freins sur la demande de l’actualiser en lieux du funéraire. Ce qui n’empêche de poser dans le temps les sources sociales, politico-économiques et culturelles de la requête et de sa diffusion.
Mieux discerner dans le brouillage
des souhaits et des changements
Pour la suite? Le travail de chaque lecteur consiste à mieux percevoir les composantes des logiques sociales à l’œuvre et comment elles orientent nos affects de base. Cela s’effectue notamment en distinguant, d’un côté, les mouvements et les moments du terme à toute existence et, de l’autre, les lieux pour les accueillir avant toute chose.
L’analyse en cours nous ramène au point de départ : toujours, ce qui se passe concernant le jeu sur le temps convoie et convoque le rapport à l’espace. Et inversement. Autrement dit, la demande d’effectuer le basculement de vie à mort sous l’égide de la fonction funéraire était prévisible, à partir du moment où deux actions sur le temps se rejoignent dans le raccourcissement de l’expérience qu’elles supposent : le temps du mourir d’un côté, et de l’autre, le temps requis par cette forme de rite de mort que sont les funérailles. Et encore, il y a convergence des gestes, qui consiste d’un côté à devancer le terme temporel d’une existence ramenée à un biosystème déchu et, de l’autre, à comprimer cette action avec le salut universel au mort, comme une manière de rattraper ce qui s’étiolait déjà des pratiques funéraires. Le précipité agit des deux côtés de l’existence pour ne former qu’un immédiat, un tout-en-un, dans un lieu-synthèse qui ne fut pas institutionnalisé comme mouroir (au sens noble du terme, mais réputé « morbide »), et c’est le cas dans ce qui nous confronte aujourd’hui.
Au Québec, nous sommes à cet égard la première culture parmi celles qui éprouvent quelque difficulté à différencier la vie de la mort et les temps/espaces du mourir. Les confusions déjà en place semblent rejaillir sur le processus même et la scansion des moments de la mort. Car comment émettre une limite à notre fantaisie d’omnipotence si l’on sait mal différencier entre x et y? La limitation a toujours à voir avec le travail préalable de distinction des éléments en jeu, de délimitation de leurs frontières.
Il nous faut de là aussi entendre combien la résistance à hâter la mort d’autrui ou la sienne, quel qu’en soit le lieu, n’est pas issue de la seule morale judéo-chrétienne, et ce, par-delà des distorsions institutionnelles déshumanisantes ou leurs habiles récupérations des idées (rien de neuf sous le soleil) ; elle n’est pas non plus qu’impartie aux valeurs individuelles ou déontologiques : je l’ai indiqué en pointillés, cette hésitation et cette réserve sont le lot des humains en culture, conscients de l’altérité de la mort.
En effet, ce qui tient lieu d’une expérimentation — en soi aveugle à ses effets et même, à ses intentions de fond — consacre et amplifie l’implosion du temps qu’elle avait nourri dans nos esprits : faire paradoxalement comme les autres pour être soi, en obéissant au leitmotiv social de toujours gagner du temps. En vue de quoi? Par peur anticipée de quoi? À tout le moins, le statut de la mort s’en trouve vite fait réduit à peau de chagrin. Bien fait?
L’évocation d’un geste d’amour apposé sur une situation désespérante, à maints égards non dite, peut certes légitimer le passage à l’acte, ici tout autant sociétal18. Nous estimons ainsi depuis peu accepter la mort, mais justement, nous l’accepterions dans la mesure où nous la mettons à notre main. Souhaitée dominée, après avoir été «apprivoisée», elle devient un objet de contrôle à tous égards. Alors, nous la travestissons sans nous en apercevoir. Nous nous privons ainsi de l’événement personnel et générateur de culture qu’elle constitue lorsqu’elle introduit le sens de la séparation nécessaire et du changement profond comme tel.
Séparation, changement, c’est justement ce que ponctue le rite. Ici, le défaut de composer avec la limite est à prime abord compensé parce qui veut entourer et atténuer l’impact du geste létal. Compenser, à y regarder de près, c’est un anti-rite. Par conséquent, affubler du terme « rite » ce qui est au mieux une cérémonie des adieux ou un rituel de salutation est proprement un mésusage du concept, une méconnaissance de son caractère liant et pour d’aucuns, une entreprise de dédouanement. Un contresens. (J’expliquerai davantage aux prochains textes la signification de rites et rituels.)
Pourtant, même étrangement, ce geste souhaité et prodigué de précipiter la fin de la vie ne change peut-être pas le sens profond de la rupture radicale de la mort, même s’il y passe outre ou la bafoue. En effet, l’autonomie que nous réclamons à juste titre pour nous-même — en termes de penser par soi-même, d’être soi-même —, nous ne l’accordons pas à la mort et à ses lois et rythmes. Or, ce sens profond persiste. C’est ce caractère unique, autonome, « dépareillé » (Vladimir Jankélévitch19) qui a justement construit la pierre d’angle des civilisations : la mort, cette étoile à la fois noire et rayonnante.
Pauline, notre veuve citée plus haut, le signifiait à sa manière.
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Question au terme de ce texte relié aux humains des lointains et aux incarnés présents : est-ce que parce qu’une chose est possible, faisable, qu’elle est juste et humanisante? Dès lors, contrôler, jusqu’où?
En cette matière, il est une tendance contemporaine observable en maints champs de l’activité humaine, tendance à perdre le contrôle sur notre volonté de contrôle20, de domination, d’emprise, quand ce n’est de mainmise et de profit. Cette compulsion de contrôle a pu et peut toujours donner lieu à des expérimentations malheureuses au nom de la quête de l’originalité, de l’inédit ou de la renommée. Pareille compulsion est en soi à double tranchant : manière de marquer son identité en se démarquant (alors qu’il existe d’autres manières d’y arriver) ET fuite en avant. Au propre, fuite au-devant de la mort.
Or, le sort de la planète s’avère en ce sens plus qu’indicatif en ceci que la volonté de contrôle et d’appropriation dans le court terme est en train de blesser à mort, et depuis plus d’un siècle, les écosystèmes, l’espérance de vie des uns et des autres, voire leur désir de vivre, et même, de donner la vie21. Pourquoi? Parce que cette volonté ignore l’existence de ses propres angles morts. Et le défaut de les discerner et d’agir en conséquence crée de la mort et pas qu’en zones routières. Mort du désir même de penser, entre autres.
La balle est lancée, car du vivant est en présences. Et dans toutes les chaumières.
© Luce DES AULNIERS, professeure-chercheure
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Notes
- KAISER, Léa Marie (2014). « La mémoire à l’épreuve du monde surmoderne : temps et espace dans l’œuvre de Peter Kurzeck », Germanica, 55, 47-57,p. 50. http://journals.openedition.org/germanica/2660.
- DEBRAY, Régis (2012). Jeunesse du sacré (ill.), Paris, Gallimard, 203 p., p. 63.
- Voir Dictionnaire Anthropen pour une clarification du terme.
- Questions inspirées des philosophes : Martha NUSSBAUM (1997). Cultiver l'humanité : une défense classique de la réforme dans l'éducation libérale, Cambridge, Harvard University Press, 320 p. Elle propose trois critères sur lesquels fonder l'éducation : 1) Est-ce que l’œuvre favorise une représentation de l'altérité ou porte une imagination narrative? ; 2) Est-ce que l'œuvre donne accès à l'histoire? ; 3) Est-ce que l'œuvre porte un caractère esthétique, en faisant connaître la beauté? Et Hannah ARENDT (1972 [1961]), La crise de la culture Paris, Gallimard, Folio, 380 p.) qui ajoute : « Est-ce que cette œuvre nous rendra meilleurs? »
- GRAEBER, David, WENGROW, David (2022). Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Trad. de l’anglais, Paris, Éd. Les liens qui libèrent, 745 p.
- C’est John DONNE qui l’écrivait, dans ses Méditations (1664) : « Nul homme n’est une île, complète en elle-même; chaque homme est un continent, une part de l’ensemble. » (trad. F. LEMONDE)
http://agora.qc.ca/thematiques/mort/documents/aucun_homme_nest_une_ile - Le principe de responsabilité, selon Hans JONAS (Le Principe Responsabilité, Paris, Cerf, 1990), considère les peurs et les désirs (non pathologiques), ces affects qui incitent à la réflexion et à l’action. Pour Emmanuel LÉVINAS, le visage d’autrui, ou le lien, fut-il inégal, appelle à assumer une dette ou à donner, non seulement de par la vulnérabilité, mais par la participation, afin de créer quelque chose d’humain. La condition humaine (Hannah ARENDT), mortelle, implique des initiatives qui se soucient de leurs répercussions. Mais toujours, de répondre à l’autre, ce qui conduit à répondre de l’autre. Bref, bien loin de l’indifférence.
- Constat courant en maintes recherches sociologiques, philosophiques et anthropologiques. Les indices de cet évitement, multiples, contribuent d’un côté, au statut dévalorisé de la mort, ce qui justifie de l’autre de l’enjoliver. Dans la situation qui nous occupe, il est éloquent que plusieurs de nos contemporains — loin d’être la généralité — ont du mal à mourir à domicile pour éviter de laisser ce qu’ils estiment être un «mauvais souvenir» à leurs proches. Comme si la mort n’était que négative et sans rapport avec la vitalité de nos liens et comme si, soudainement, nous nous abandonnions à la pensée magique que nous décrions pourtant comme « attardée » pour d’autres sociétés (du type : le mort hante le lieu...)?
- ST-ARNAUD, Jocelyne, coll. ROIGHT, Delphine. (2024). Soins de fin de vie, qui décide?, Montréal, Boréal, 222 p. (indications pratico-légales). Et : FOURNERET, Éric (2018). Sommes-nous libres de vouloir mourir ? Euthanasie, suicide assisté : les bonnes questions, Paris, A. Michel, 200 p.; DES AULNIERS, Luce, LAPOINTE, Dr. Bernard J. (2020). Le choix de l’heure. Ruser avec la mort? (40 mots-clés autour de la demande à mourir), Montréal, Somme Toute, 295 p.
- Le terme «célébration», laissé vague, n’est pas propre à la mort, ce qui contribue à en laminer le sens.
- Le nombre de gestes d’aide médicale à mourir (AMM) a augmenté depuis 2015 autant en nombre absolu qu’en proportion des décès au Québec. Entre le 1er avril 2022 et le 31 mars 2023 (alors 6,8 % des décès : 5211 personnes l’ont reçue), l’augmentation est de 42 % [et quid des proches?] ; le lieu se répartit entre domicile (42 %), centre hospitalier (37 %) CHSLD (12 %), maison de soins palliatifs (9 %), avec 15 % d’augmentation de médecins participants. (Commission sur les soins de fin de vie, Gouvernement du Québec, Rapport annuel d’activités 2022-2023). Les décès par AMM en milieu funéraire n’étaient pas recensés, vu leur caractère fort marginal en 2022-2023 et médiatisés à partir du printemps 2023.
- BOUASSI, Bachar, DRILLAUD, Frédérique, GALINAT Élodie (dir.) (2022) « “Prendre soin” de la vulnérabilité », Essais. Revue interdisciplinaire d’humanités, Université Bordeaux-Montaigne, No 18, 2022.
- ALEXANDRE, Laurent (2011). La mort de la mort. Comment la technomédecine va bouleverser l’humanité, Paris, JC Lattès. Et entre autres en critique du premier : LEFEVBRE DES NOËTTES, Véronique, DE MALHERBE, Brice (dir.) (2023). La médecine confrontée aux limites. Ce que la pandémie nous a appris des limites. Paris, Cerf/Collège des Bernardins, 169 p.
- TAMANAHA, Brian Z. (2006). Law as a Means to an End. Threat to the Rule of Law, (England) Cambridge University Press, 255 p.
- THOMAS, Louis-Vincent (1991). La mort en question. Traces des morts, mort des traces, Paris, L’Harmattan, 537 p. Et : (1998 ([1978]). Mort et pouvoir, Paris, Payot, 213 p.
- ARIÈS, Philippe (1977). Essai sur l'histoire de la mort en Occident : du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Seuil, 225 p.
- DES AULNIERS, Luce (2020). Le Temps des mortels. Espaces rituels et deuil, Montréal, Boréal, 349 p.
- « Passage à l’acte » : utilisée largement, cette expression renvoie elle aussi à une forme de court-circuit mental et conceptuel de trois éléments, notés en psychologie dynamique : un choc émotif qui rameute des arrière-scènes affectives, le désarroi jusqu’à la panique et la désorganisation psychique qui verse sitôt dans la solution impulsive, souvent en attentant à sa vie. On «passe à l’acte» donc sans réfléchir. Il arrive que l’expression soit utilisée même si la mise en action est arraisonnée dans le temps de réflexion et dans le recours à des savoirs autres, auquel cas, sans doute simplement préférer «agir en connaissance de cause»?
- JANKÉLÉVITCH, Vladimir (1966). La mort, Paris, Flammarion, 700 p.
- VACQUIN, Monette (2016). Frankenstein aujourd’hui. Égarements de la science moderne, Paris, Belin, 326 p.
- LEBRUN, Jean-Pierre (2020). Un immonde sans limite, Toulouse, Érès, 288 p.
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Ce texte reprend certains éléments émis lors de la conférence «En quoi l’AMM administrée en lieux du funéraire traduirait-elle notre rapport culturel au temps et à l’espace, avec quels impacts sur la mort et le deuil?», session «L’aide médicale à mourir dans les salons funéraires: que faire?», Table des présidents, Fédération des Coopératives Funéraires du Québec, Québec, 28 octobre 2023. Texte déposé sur le site Intranet FCFQ et remis à trois recherchistes et journalistes depuis.
Mes remerciements à Micheline DE SÈVE et à Jean PICHETTE qui ont discuté des premières versions, ainsi qu’à Ghislaine DAOUST, à l’occasion de quelques-unes des annotations linguistiques.
KAISER, Léa Marie (2014). « La mémoire à l’épreuve du monde surmoderne : temps et espace dans l’œuvre de Peter Kurzeck », Germanica, 55, 47-57,p. 50. http://journals.openedition.org/germanica/2660.
DEBRAY, Régis (2012). Jeunesse du sacré (ill.), Paris, Gallimard, 203 p., p. 63.
Voir Dictionnaire Anthropen pour une clarification du terme.
Questions inspirées des philosophes : Martha NUSSBAUM (1997). Cultiver l'humanité : une défense classique de la réforme dans l'éducation libérale, Cambridge, Harvard University Press, 320 p. Elle propose trois critères sur lesquels fonder l'éducation : 1) Est-ce que l’œuvre favorise une représentation de l'altérité ou porte une imagination narrative? ; 2) Est-ce que l'œuvre donne accès à l'histoire? ; 3) Est-ce que l'œuvre porte un caractère esthétique, en faisant connaître la beauté? Et Hannah ARENDT (1972 [1961]), La crise de la culture Paris, Gallimard, Folio, 380 p.) qui ajoute : « Est-ce que cette œuvre nous rendra meilleurs? »
GRAEBER, David, WENGROW, David (2022). Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Trad. de l’anglais, Paris, Éd. Les liens qui libèrent, 745 p.
C’est John DONNE qui l’écrivait, dans ses Méditations (1664) : « Nul homme n’est une île, complète en elle-même; chaque homme est un continent, une part de l’ensemble. » (trad. F. LEMONDE)
http://agora.qc.ca/thematiques/mort/documents/aucun_homme_nest_une_ile
Le principe de responsabilité, selon Hans JONAS (Le Principe Responsabilité, Paris, Cerf, 1990), considère les peurs et les désirs (non pathologiques), ces affects qui incitent à la réflexion et à l’action. Pour Emmanuel LÉVINAS, le visage d’autrui, ou le lien, fut-il inégal, appelle à assumer une dette ou à donner, non seulement de par la vulnérabilité, mais par la participation, afin de créer quelque chose d’humain. La condition humaine (Hannah ARENDT), mortelle, implique des initiatives qui se soucient de leurs répercussions. Mais toujours, de répondre à l’autre, ce qui conduit à répondre de l’autre. Bref, bien loin de l’indifférence.
Constat courant en maintes recherches sociologiques, philosophiques et anthropologiques. Les indices de cet évitement, multiples, contribuent d’un côté, au statut dévalorisé de la mort, ce qui justifie de l’autre de l’enjoliver. Dans la situation qui nous occupe, il est éloquent que plusieurs de nos contemporains — loin d’être la généralité — ont du mal à mourir à domicile pour éviter de laisser ce qu’ils estiment être un «mauvais souvenir» à leurs proches. Comme si la mort n’était que négative et sans rapport avec la vitalité de nos liens et comme si, soudainement, nous nous abandonnions à la pensée magique que nous décrions pourtant comme « attardée » pour d’autres sociétés (du type : le mort hante le lieu...)?
ST-ARNAUD, Jocelyne, coll. ROIGHT, Delphine. (2024). Soins de fin de vie, qui décide?, Montréal, Boréal, 222 p. (indications pratico-légales). Et : FOURNERET, Éric (2018). Sommes-nous libres de vouloir mourir ? Euthanasie, suicide assisté : les bonnes questions, Paris, A. Michel, 200 p.; DES AULNIERS, Luce, LAPOINTE, Dr. Bernard J. (2020). Le choix de l’heure. Ruser avec la mort? (40 mots-clés autour de la demande à mourir), Montréal, Somme Toute, 295 p.
Le terme « célébration », laissé vague, n’est pas propre à la mort, ce qui contribue à en laminer le sens.
Le nombre de gestes d’aide médicale à mourir (AMM) a augmenté depuis 2015 autant en nombre absolu qu’en proportion des décès au Québec. Entre le 1er avril 2022 et le 31 mars 2023 (alors 6,8 % des décès : 5211 personnes l’ont reçue), l’augmentation est de 42 % [et quid des proches?] ; le lieu se répartit entre domicile (42 %), centre hospitalier (37 %) CHSLD (12 %), maison de soins palliatifs (9 %), avec 15 % d’augmentation de médecins participants. (Commission sur les soins de fin de vie, Gouvernement du Québec, Rapport annuel d’activités 2022-2023). Les décès par AMM en milieu funéraire n’étaient pas recensés, vu leur caractère fort marginal en 2022-2023 et médiatisés à partir du printemps 2023.
BOUASSI, Bachar, DRILLAUD, Frédérique, GALINAT Élodie (dir.) (2022) « “Prendre soin” de la vulnérabilité », Essais. Revue interdisciplinaire d’humanités, Université Bordeaux-Montaigne, No 18, 2022.
ALEXANDRE, Laurent (2011). La mort de la mort. Comment la technomédecine va bouleverser l’humanité, Paris, JC Lattès. Et entre autres en critique du premier : LEFEVBRE DES NOËTTES, Véronique, DE MALHERBE, Brice (dir.) (2023). La médecine confrontée aux limites. Ce que la pandémie nous a appris des limites. Paris, Cerf/Collège des Bernardins, 169 p.
TAMANAHA, Brian Z. (2006). Law as a Means to an End. Threat to the Rule of Law, (England) Cambridge University Press, 255 p.
THOMAS, Louis-Vincent (1991). La mort en question. Traces des morts, mort des traces, Paris, L’Harmattan, 537 p. Et : (1998 ([1978]). Mort et pouvoir, Paris, Payot, 213 p.
ARIÈS, Philippe (1977). Essai sur l'histoire de la mort en Occident : du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Seuil, 225 p.
DES AULNIERS, Luce (2020). Le Temps des mortels. Espaces rituels et deuil, Montréal, Boréal, 349 p.
« Passage à l’acte » : utilisée largement, cette expression renvoie elle aussi à une forme de court-circuit mental et conceptuel de trois éléments, notés en psychologie dynamique : un choc émotif qui rameute des arrière-scènes affectives, le désarroi jusqu’à la panique et la désorganisation psychique qui verse sitôt dans la solution impulsive, souvent en attentant à sa vie. On «passe à l’acte» donc sans réfléchir. Il arrive que l’expression soit utilisée même si la mise en action est arraisonnée dans le temps de réflexion et dans le recours à des savoirs autres, auquel cas, sans doute simplement préférer «agir en connaissance de cause»?
JANKÉLÉVITCH, Vladimir (1966). La mort, Paris, Flammarion, 700 p.
VACQUIN, Monette (2016). Frankenstein aujourd’hui. Égarements de la science moderne, Paris, Belin, 326 p.
LEBRUN, Jean-Pierre (2020). Un immonde sans limite, Toulouse, Érès, 288 p.