Le deuil comporte des périodes de détresse ou de découragement ponctués de moments d’espoir, de quête de sens, de réorganisation de vie et de reconstruction personnelle dont l’essence est à la fois unique et universelle. Unique parce que la perte s’inscrit dans la vie personnelle de l’endeuillé, universelle parce que nul n’y échappe.
La direction du Repos Saint-François d’Assise a célébré en 2016 le centenaire du cimetière (1916-2016). Il s’agit d’une occasion exceptionnelle pour aborder, au détour de chroniques mensuelles sur le deuil, l’importance des personnes qui ont contribué à bâtir une partie de ce monde et dont la brève histoire figure aujourd’hui entre deux dates gravées sur une pierre tombale, une urne cinéraire, un lopin de terre ou une plaque murale. Une épitaphe visible et accessible qui, non seulement peut aider les intimes à surmonter le deuil, mais qui rappelle au commun des mortels que la pierre porte un nom, et que la vie d’un être s’inscrit dans l’histoire familiale, au cœur d’une société, au service d’un peuple. Marcher dans le cimetière permet de saluer nos ancêtres, nos enfants, nos amis, nos mentors. Ceux et celles qui n’y sont plus contribuent à prolonger notre mémoire, à influencer nos valeurs de vie. Le Jour du Souvenir en fait foi le 11 novembre de chaque année en saluant nos braves soldats morts au combat. Ainsi l’an 2015 marque-t-il la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale.
Aujourd’hui, les centenaires représentent à nos yeux une énigme, une promesse de longévité, la réalisation d’une vie pleine. C’est comme si ces privilégiés avaient découvert une formule gagnante qui, loin d’être donnée à tous, nous intrigue et nous interroge sur la durée de la vie, variable pour chacun. Le mystère de la temporalité persiste et c’est pourquoi la qualité du temps prédomine sur sa durée, imprévisible. Connaissez-vous un centenaire? L’article de Josée Blanchette, dans le journal Le Devoir du 11 septembre 2015, nous présente le père Benoît Lacroix, un être inspirant dont la maxime s’accorde avec tous les âges : « Vis aujourd’hui avec le meilleur de toi »[G1] . Cette pensée tient compte de la qualité du temps que nous passons avec nos proches ou que nous consacrons à une mission de choix. Le titre de l’article, « Le ciel peut attendre », fait référence à l’âge vénérable du Dominicain, « 100 ans sans se plaindre », précise la journaliste qui l’interrogeait sur l’art de vieillir.
Je disais que la qualité de vie prévalait sur la quantité d’années vécues et cela même si nous admirons les rares élus qui franchissent la barre des cent ans. Par ailleurs, les personnes en deuil, consciemment ou à leur insu, veillent à prolonger la vie des disparus grâce à la pérennité de leurs récits. Ce narratif persiste d’une génération à l’autre et survit comme une épopée au cœur de chaque histoire. L’exemple qui suit le démontre.
Richard Cummings a publié un livre magnifique sur la courte vie de son fils et sur son héritage affectif. Michaël est décédé à l’âge de 12 ans des suites d’une maladie neuromusculaire dégénérative. Le sous-titre du livre évoque à lui seul le prolongement d’une vie qui, concrètement, n’est plus mais se répercute encore chez le proche en deuil : « Ce que j’ai appris avec toi me permet maintenant de vivre sans toi. » Cette citation a la puissance du roc de Gibraltar. Elle explique comment une vie courte peut durer cent ans! Autrement dit, l’histoire se poursuit en celui ou celle qui prend parole pour ainsi la redonner à son tout-petit.
Le mois de novembre évoque la Fête des morts. J’aimerais leur rendre hommage dans cette chronique et rejoindre les personnes en deuil par ce premier texte et par les autres qui suivront à l’aube de Noël et au cours de cette nouvelle année. Vous avez peut-être perdu un parent, un enfant, un frère, une sœur, ou un grand ami; les circonstances entourant leur mort étaient peut-être soudaines, marquantes, ou irrecevables.
Au-delà des étapes répertoriées dans la littérature sur le deuil, l’oscillation des sentiments persiste pendant un temps indéterminé. Dans mes chroniques, je compte vous rejoindre là où vous êtes, six, dix, vingt mois après le décès d’un proche, voire dix ans plus tard. Car le temps ne compte que pour celui ou celle qui ne le calcule plus. C’était hier, c’était l’an passé, peu importe, certaines pertes ont le poids de cent ans d’absence. La présence de l’absence se vit précisément en l’absence de l’être aimé. Aussi, le défi de l’endeuillé consistera-t-il à récupérer le lien préexistant pour compenser le manque.
Ayant eu pour ma part le privilège d’accompagner des malades en phase terminale pendant vingt-neuf ans, des personnes de tout âge confrontées à une mort annoncée, ayant également soutenu des familles éplorées en amont et en aval de la perte irrévocable, je suis habitée par des tableaux profondément humains. À ce jour, ils m’aident personnellement et professionnellement à mieux composer avec l’absence, le manque, l’imprévu, l’inconnu et l’incontournable.
Par la voie de mes chroniques, je tenterai de transmettre mes connaissances et mon appui aux lecteurs pour qui le deuil demeure un sujet préoccupant et souvent, difficile à partager.
Johanne de Montigny
Psychologue
Références :
CUMMINGS, Richard. Michaël, mon fils, Tout ce que j’ai appris avec toi me permet maintenant de vivre sans toi, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2009, 272 p.
BLANCHETTE, Josée, « Le ciel peut attendre », Le Devoir, 11 septembre 2015.